Exposition "Pipeline field" de Michael Beutler - chapelle St Jacques:
Feuille de salle
Cette œuvre de Michael Beutler est radicale en ce qu'elle renvoie aux questionnements premiers de toute construction : pourquoi ? en quoi ? avec qui ? Quelles implications dans l'espace ? Tout est remis en cause par l'artiste : des machines sont inventées pour produire leurs propres éléments, le papier ou le carton peuvent devenir des matériaux structurants...
Les formes de Michael Beutler dérivent d'une exploration de l'espace et des matériaux et trouvent des résolutions pratiques dans la mise en œuvre de chaînes de production expérimentales.
Réalisée en 2010, Pipeline Field met à jour un réseau de tuyaux, de formes évoquant les pipelines, de tubes géants utilisés pour véhiculer le gaz ou le pétrole. Mais ces sculptures en carton n'ont aucune fonction réelle, elles sont juste l'illusion de déchets industriels abandonnés. Si par leur caractère "mou" et géant, cette œuvre peut évoquer celle de Claes Oldenburg, débarrassée de toute tentation réaliste, elle se pare d'une dimension abstraite et constructive. Les volumes doivent être réalisés à chaque exposition selon les instructions de l'artiste et avec l'aide des machines qu'il a réalisées.
Déployée à la manière d'un pop-up se répandant dans l'espace, l'œuvre prend une dimension gigantesque et paysagère, all-over. Laissées au sein de la sculpture, les machines servant à réaliser les formes rappellent, quant à elles, la dimension semi-industrielle de l'édifice. Usinés par Michael Beutler, recourant strictement à la force humaine pour être activés, les prototypes de Michael Beutler témoignent de ses recherches visant à la réinvention à l'échelle 1 d'une division du travail contrôlée, artistique, ludique et luddite*.
Le luddisme est un « conflit industriel violent » qui a opposé dans les années 1811-1812 des artisans – tondeurs et tricoteurs sur métiers à bras du West Riding, du Lancashire du sud et d'une partie du
Leicestershire et du Derbyshire – aux employeurs et manufacturiers qui favorisaient l'emploi de machines (métiers à tisser notamment) dans le travail de la laine et du coton. La lutte des membres de ce mouvement clandestin, appelés luddites ou luddistes, s'est caractérisée par le « bris de machines ».
La chapelle Saint-Jacques, édifice du 17ème siècle, exige, de par sa configuration, d'exposer une œuvre pour le lieu. Ainsi, régulièrement réalisées in situ, les installations sont donc imaginées par les artistes pour le centre d'art. Pipeline Field semble, du coup, faire exception puisque cette oeuvre appartient depuis deux ans à la collection du FRAC Midi Pyrénées - Musée des Abattoirs à Toulouse.
Très fortement reliée au site investi, l'oeuvre généreuse de cet artiste apporte une lecture toute singulière du bâtiment. Pipeline Field est une architecture autonome dans l'architecture même du centre d'art. La mise en oeuvre d'une chaîne de production expérimentale à la fois bricolée, inventive, précise s'impose. Monumentale, elle bouleverse la perception de l'espace malgré son évidente fragilité. Le papier Tetra Pak® (emballage des boîtes de lait) matériau vedette de cette exposition, envahit le lieu où, espace d'exposition / espace de travail / ateliers se confondent. Ainsi habitée, la Chapelle Saint-Jacques s'efface avec jubilation au profit d'une oeuvre qui interroge le spectateur sur sa relation physique et intellectuelle à la notion d'espace public et privé.
Valérie Mazouin, directrice de la Chapelle Saint-Jacques centre d'art contemporain.