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Art contemporain et déficience visuelle
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    • Avec le soutien de la DRAC de Midi-Pyrénées
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    Journée de sensibilisation à la déficience visuelle
    Expérimenter la découverte d'objets en situation de cécité 

    « Je touche donc je pense »
    Que se passe-t-il dans nos têtes quand on explore sans regarder ? Quels gestes, quelles associations d'idées, quelles hypothèses fait-on ? Avec en filigrane cette question : que se passe-t-il quand on touche une œuvre d'art contemporain sans la voir ? Essaie-t-on de s'en construire une image mentale ? comment procède-t-on ? y a-t-il du sens à rapprocher l'œuvre d'objets connus (un personnage, une forme) ? Est-ce possible de lâcher toute interprétation et de se laisser simplement imprégner par des impressions qui ont trait à la texture, au poids, au plaisir ou au déplaisir à toucher ? Autant de questions qui peuvent orienter l'invention de médiations.

    Types d'objets

    Lors d'un atelier sous bandeau, nous avons découvert des objets variés, avec comme consigne de se centrer sur le cheminement de la pensée. Les objets étaient de divers types, nombreux, pêle-mêle. A chacun de s'y retrouver, d'y voir clair dans sa tête et de se rendre compte des démarches cognitives mises en œuvre. 

    Des objets très facilement identifiables (boîtes d'oeufs, bateau, chaussure)

    Des objets insolites : faciles à analyser d'un point de vue sensoriel (matière, forme) mais impossibles à identifier d'un point de vue fonctionnel (des objets d'art, des objets de classe, des objets inusités, telle une quenouille)

    Des parties d'un tout (une coque de bateau, un bouchon de feutre)

    Des objets complexes avec de multiples parties (exemples : un appareil à souder, un pupitre, une oeuvre d'art composée de multiples parties assemblées)

    Des objets avec la bonne forme mais pas la bonne texture (fruits ou saucisson en plastique)

    Des objets à une échelle différente de celle du réel (l'arc de triomphe, un immeuble)

    Des contenants avec quelque chose qui fait du bruit à l'intérieur

    Exploration et processus de pensée

     Nous nous sommes interrogés sur la prise d'information, sur la façon dont un objet vient ou non vers nous, sur la façon dont nous allons vers lui, sur nos façons de faire des hypothèses, comme en témoignent toutes les questions qui se sont posées à nous :

    - Comment se saisit-on de l'objet ?
    Prend-on seulement les objets à portée de main ? Les cherche-t-on ? Utilise-t-on les commentaires des autres ou les bruits produits par leur exploration pour leur demander de nous passer les objets ?

    J'ai été surprise en ouvrant les yeux de voir qu'il y avait tant d'objets. J'ai eu la sensation d'être perdue dans une multitude d'objets sans avoir de méthode pour les appréhender. Ne pas savoir combien d'objets à explorer, retrouver plusieurs fois les mêmes, un casse-tête !

    Les objets ne viennent pas vers nous, il faut aller à eux, toucher est une démarche.

    - Comment prend-on connaissance d'un objet ?
    Reconnait-on d'emblée ou faut-il plusieurs gestes ? Adapte-t-on son geste à l'objet ?
    Quel est le geste le plus informatif ?
    Reproduit-on un geste qui a été opérant pour un objet précédent ?
    Il faut de multiples gestes pour comprendre un objet (la prise dans la main pour comprendre la forme, le geste de soupeser, le geste de tapoter pour la dureté, le geste de frotter pour la texture, le geste de pincer pour l'épaisseur, etc), et il faut les coordonner entre eux, cela rend la tâche longue et complexe.

    La position dans l'espace est un élément informatif important mais pas toujours aisée à identifier, elle demande une recomposition des données perçues (on touche le haut avant de toucher le bas par exemple).

    La texture s'est avérée un élément important, agréable ou désagréable, informatif ou perturbateur.

    Je mettais parfois du temps à comprendre l'objet, la texture ne cadrait pas avec la forme, parfois j'avais un certaine appréhension, de la répulsion mais aussi du plaisir quand l'objet à toucher était doux

    - Quelle est notre démarche réflexive ?
    Compare-ton avec des objets connus ?
    Le processus est-il le suivant : hypothèses, déduction, vérification, rehypothèse, etc ?
    Quel temps cela prend-il ? Quelle fatigue s'accumule ?

    Il y avait des objets très faciles à reconnaître, on passait vite, et puis d'autres impossibles à identifier, j'ai essayé longtemps et puis j'ai laissé tomber, c'était frustrant.

    - Qu'est-ce qui brouille les pistes ?
    L'échelle, la matière différente de celle du réel ?

    Le saucisson en plastique, c'était trop bizarre, je n'ai pas du tout reconnu...

    - Que se passe-t-il quand un objet repasse ?
    Le reconnait-on ? Alors s'y attarde-t-on ?

    Je n'y faisais pas attention, je passais au voisin.

    - Fait-on des transferts intermodaux ?

    En touchant les touches du xylophone, c'était comme si j'entendais le son de celui de ma fille.

    Cet objet en plastique était une poire, alors j'ai imaginé sous les doigts la douceur de la peau d'une poire. 

    Quelques conclusions

    Il ne suffit pas de toucher pour comprendre un objet. C'est parfois trop complexe et le toucher est un sens au champ perceptif trop restreint pour qu'il soit aisé de recomposer l'objet exploré, surtout s'il est inconnu. Toucher est un sens inscrit dans la successivité et le morcellement. Il faut de nombreux gestes pour comprendre la totalité d'un objet, il faut relier ensemble toutes ces expériences tactiles. L'échange verbal avec les autres, le partage des perceptions et des hypothèses apportent une aide réelle.

    L'activité de pensée est riche, permanente. Nous passons notre temps à adapter nos gestes aux objets tout en traitant des représentations mentales. Nous avons une activité de la pensée liée à ce que les mains touchent. Le cerveau fait des hypothèses et des déductions, compare au stock d'objets connus et recompose, en tenant compte de l'échelle, de la matière, de la forme. Il relie ensemble les différentes informations pour pouvoir se faire une image mentale. Et parfois, il ne parvient pas à se faire une image, alors il laisse tomber, c'est là peut-être qu'un certain rapport au sensible peut s'instaurer, que seul le plaisir ou le déplaisir compte alors...