La représentation mentale des objets
et le développement cognitif de l'enfant aveugle
Rédigé par Anne Lorho,
Enseignante spécialisée à l'Institut des Jeunes Aveugles
Lors d'un atelier sous bandeau, nous avons découvert des objets variés, avec comme consigne de se centrer sur le cheminement de la pensée. Les objets étaient de divers types, nombreux, pêle-mêle. A chacun de s'y retrouver, d'y voir clair dans sa tête et de se rendre compte des démarches cognitives mises en œuvre.
Des objets très facilement identifiables (boîtes d'oeufs, bateau, chaussure)
Des objets insolites : faciles à analyser d'un point de vue sensoriel (matière, forme) mais impossibles à identifier d'un point de vue fonctionnel (des objets d'art, des objets de classe, des objets inusités, telle une quenouille)
Des parties d'un tout (une coque de bateau, un bouchon de feutre)
Des objets complexes avec de multiples parties (exemples : un appareil à souder, un pupitre, une oeuvre d'art composée de multiples parties assemblées)
Des objets avec la bonne forme mais pas la bonne texture (fruits ou saucisson en plastique)
Des objets à une échelle différente de celle du réel (l'arc de triomphe, un immeuble)
Des contenants avec quelque chose qui fait du bruit à l'intérieur
Nous nous sommes interrogés sur la prise d'information, sur la façon dont un objet vient ou non vers nous, sur la façon dont nous allons vers lui, sur nos façons de faire des hypothèses, comme en témoignent toutes les questions qui se sont posées à nous :
- Comment se saisit-on de l'objet ?
Prend-on seulement les objets à portée de main ? Les cherche-t-on ? Utilise-t-on les commentaires des autres ou les bruits produits par leur exploration pour leur demander de nous passer les objets ?
Les objets ne viennent pas vers nous, il faut aller à eux, toucher est une démarche.
- Comment prend-on connaissance d'un objet ?
Reconnait-on d'emblée ou faut-il plusieurs gestes ? Adapte-t-on son geste à l'objet ?
Quel est le geste le plus informatif ?
Reproduit-on un geste qui a été opérant pour un objet précédent ?
Il faut de multiples gestes pour comprendre un objet (la prise dans la main pour comprendre la forme, le geste de soupeser, le geste de tapoter pour la dureté, le geste de frotter pour la texture, le geste de pincer pour l'épaisseur, etc), et il faut les coordonner entre eux, cela rend la tâche longue et complexe.
La position dans l'espace est un élément informatif important mais pas toujours aisée à identifier, elle demande une recomposition des données perçues (on touche le haut avant de toucher le bas par exemple).
La texture s'est avérée un élément important, agréable ou désagréable, informatif ou perturbateur.
- Quelle est notre démarche réflexive ?
Compare-ton avec des objets connus ?
Le processus est-il le suivant : hypothèses, déduction, vérification, rehypothèse, etc ?
Quel temps cela prend-il ? Quelle fatigue s'accumule ?
- Qu'est-ce qui brouille les pistes ?
L'échelle, la matière différente de celle du réel ?
- Que se passe-t-il quand un objet repasse ?
Le reconnait-on ? Alors s'y attarde-t-on ?
- Fait-on des transferts intermodaux ?
Il ne suffit pas de toucher pour comprendre un objet. C'est parfois trop complexe et le toucher est un sens au champ perceptif trop restreint pour qu'il soit aisé de recomposer l'objet exploré, surtout s'il est inconnu. Toucher est un sens inscrit dans la successivité et le morcellement. Il faut de nombreux gestes pour comprendre la totalité d'un objet, il faut relier ensemble toutes ces expériences tactiles. L'échange verbal avec les autres, le partage des perceptions et des hypothèses apportent une aide réelle.