Le déplacement des personnes non-voyantes
rédigé par Olivier Paillet
Instructeur de locomotion à l'Institut des jeunes aveugles
Notion sur les perceptions sensorielles
Extéroception / intéroception
rédigé par Maud Dupeux
Psychomotricienne à l'Institut des jeunes aveugles
Dans une exposition, la personne déficiente visuelle a sans doute le projet de se concentrer sur ce qu'elle perçoit de l'œuvre, sans être gênée dans ses déplacements. Le guidage par un tiers facilite le déplacement et favorise une certaine aisance dans la découverte d'une œuvre. Mais quid de la découverte d'une installation qui propose une circulation ou un parcours singulier ? De quelle façon la personne déficiente visuelle pourra-t-elle mener cette exploration seule ? Comment l'y inciter, lui favoriser cette exploration ?
Pour aborder ces questions et la variété des situations rencontrées lors de la visite d'une exposition, nous avons proposé plusieurs ateliers : la technique de guide, l'exploration d'une salle, un parcours psychomoteur, le tout en situation de cécité.
La personne mise en situation de cécité est guidée à travers pièces, couloirs, cour extérieure.
L'objectif était à la fois de sentir ce qui se passe lors d'un déplacement en situation de cécité et à la fois d'apprendre la technique de guide, nécessaire pour l'accueil d'une personne déficiente visuelle.
Se déplacer sans voir implique une perte des repères spatio-temporels habituels, l'orientation est malaisée, l'appréciation des distances est déformée. Il devient nécessaire de faire appel à des perceptions autres : le chaud, le froid, la lumière, le son, le contact avec le sol, les effets de masses.
Autant de facteurs qui rendent ce premier déplacement dans le noir éprouvant, générant de vives émotions : peur de ne pas gérer la vitesse de progression, frayeur dans l'escalier, sentiment d'insécurité, et réminiscence d'angoisses enfantines.
Se faire guider implique de déléguer sa confiance à quelqu'un, il faut un temps d'adaptation et un
« lâcher prise » qui peuvent se traduire les premières minutes par des tensions et des crispations.
Guider, c'est aussi être très attentif à la personne non voyante pour trouver le bon rythme, faire en sorte que les ralentissements et les arrêts soient perceptibles et garder en tête sa corpulence pour anticiper les rétrécissements d'espace et les obstacles.
La technique de guide permet d'établir une confiance dans les déplacements, tout en laissant place à de véritables échanges interpersonnels.
La personne en situation de cécité est "lâchée" dans une pièce avec mission de s'en faire une représentation mentale et de la dessiner une fois l'exploration terminée. Il est peu probable que de telles situations se présentent lors d'une visite d'exposition d'art contemporain mais c'est une expérience utile pour appréhender de façon plus globale la complexité à se représenter l'espace et la nécessité d'un guidage adapté.
Avant d'avoir vécu cette expérience, on ne se doute pas à quel point la mémoire est sollicitée.
Il nous a semblé extrêmement difficile de se représenter l'espace sans le voir, quelles que soient les stratégies adoptées (longer les murs, mesurer les pas, chercher à avoir une perception globale ou chercher plutôt les détails).
Après avoir trouvé des repères (source de lumière, angles de mur, etc), reconnus des meubles, des objets, il faut se rappeler la chronologie de leur découverte pour les situer les uns par rapport aux autres, évaluer leur importance en terme de volume, de distance, garder en tête leur agencement et leur position dans l'espace.
Et comme plus il y a d'objets plus la perception de l'espace est morcelée, cela devient extrêmement complexe d'avoir une vision globale d'une pièce encombrée et d'évaluer ses dimensions (souvent perçue plus grande ou plus petite).
En situation de cécité, la façon dont le corps est mis en jeu impacte directement sur les ressentis.
Cette approche du corps est une piste à envisager pour des médiations possibles. Un parcours peut accompagner une installation, palliant ainsi ce qui ne peut se voir mais pourrait se ressentir à travers le corps en mouvement.